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Auteur : Thomas PEDOT
Publiée : 09 déc. 2019
Mise à jour : 04 avr. 2024

Rapport 2019 de AIEA : Afrique et accès à l’électricité

A l’occasion de la publication du rapport 2019 de l’Agence Internationale de l’Énergie sur l’Afrique subsaharienne, il nous a semblé nécessaire d’en dresser un résumé afin de clarifier en quelques minutes :

  • quels sont les chiffres clés de ce document ;
  • ce qu’ils nous disent des défis infrastructurels et socio-économiques subsahariens aujourd’hui (…) ;
  • (…) et bien sûr, de ne pas en rester sur le constat de cette montagne s’élevant face à nous, mais bien de proposer certains leviers d’action, efficaces et scalables, que nous pouvons activer dès aujourd’hui, depuis la société civile.

Quand on s’interroge sur l’infrastructure énergétique en Afrique subsaharienne aujourd’hui, on pense en termes de niveau d’accès à l’énergie. En d’autres termes, quelle part de la population peut utiliser quotidiennement, pour le confort basique du foyer familial comme pour le fonctionnement effectif d’une entreprise, une énergie fiable et sécurisée. Et là, nous pouvons dresser un tableau régional, sommaire et édifiant, en 3 chiffres :

  • 2/3 des personnes dans le monde vivant sans accès à l’électricité sont en Afrique subsaharienne ;
  • Le taux d’électrification de la région ne dépasse pas les 45% ;
  • Et si l’on exclut de l’analyse l’Afrique du Sud, le Gabon, le Nigeria et le Cameroun, les populations non couvertes par le réseau électrique représenteraient entre 61 et 78% de la population régionale selon les estimations.

Mais alors, quelles sont les conséquences de cette précarité énergétique, tant au niveau local que régional ou même mondial ? Tout d’abord, il faut voir que les populations subsahariennes sans accès à l’énergie vivent pour l’immense majorité en zones rurales, là où l’Etat n’a pas eu la capacité de tirer son réseau électrique national.

Et là, les conséquences de l’inaccès à l’énergie peuvent se résumer en deux mots, qui sont eux-mêmes à la fois illustrateurs et porteurs d’une spirale négative globale : exode rural. Non pas que l’exode rural soit un mal en soi, mais dans des proportions extrêmes comme c’est actuellement le cas en Afrique, ça le devient.

Agriculture et énergie sont intrinsèquement liées
Agriculture et énergie sont intrinsèquement liées

L’inaccès à l’énergie entraîne dans son sillage d’autres précarités, que les populations cherchent naturellement à fuir en allant là où se concentrent les activités et infrastructures humaines, c’est-à-dire les villes. En voici un échantillon représentatif :

Exploitations agricoles, pêche, élevage - la difficulté à générer des revenus sans accès à l’énergie, en 2 chiffres :

  • Selon le type de nourriture, entre 20 et 50% de la production alimentaire est perdue en Afrique subsaharienne. De tels niveaux de pertes, au-delà même de leur impact sur l’environnement, bloquent toute génération raisonnable de bénéfices pour les petits paysans ou pêcheurs. C’est par la transformation et la conservation que l’on pourra couper drastiquement les pertes. L’énergie est centrale dans la réalisation de ces deux types d’actions productives.
  • Le secteur agricole emploie la moitié de la force de travail en Afrique, mais compte pour seulement 16% du PIB régional … et moins de 10% de l’énergie à vocation productive. L’inaccès à l’énergie par les entrepreneur.e.s ruraux maintient leur niveau de productivité très bas, ce qui explique l’écart entre nombre d’emplois concernés et richesse créée. Un tel écart amène forcément à une mauvaise rémunération du travail, et dans le cas présent incite à aller chercher un travail en ville.

Dans les zones rurales, le manque d’accès à une énergie fiable et sécurisée a des impacts concrets sur la santé :

  • En Afrique subsaharienne, environ 60% des centres de santé ne sont pas électrifiés (quasiment tous étant situés en zones rurales bien sûr). Donc ni éclairage pour que le personnel médical puisse exercer normalement sa mission, ni systèmes de froid pour conserver assez de temps les substances médicinales ayant besoin de ce mode de conservation. Et ce ne sont que deux exemples parmi une multitude de conséquences.
  • En Afrique subsaharienne, la pollution de l’air à l’intérieur des foyers est responsable d’environ 500 000 morts par an. Or, cette pollution de l’air à l’intérieur des foyers est très largement causée par l’utilisation de groupes électrogènes et (dans une moindre mesure) de lampes à pétrole, faute d’accès à une électricité moderne (c’est-à-dire sans combustion sur le lieu d’utilisation).

Dans les zones rurales, l’éducation est un autre domaine sévèrement impacté par la précarité énergétique :

  • En 2016, à peu près la moitié des collèges et 57% des lycées n’avaient pas accès à l’électricité. Quasiment tous en zones rurales bien sûr. La luminosité nécessaire à des activités de lecture/écriture est rarement atteinte par la lumière naturelle arrivant dans les salles de classes. Au-delà de l'éclairage, une multitude d’applications pédagogiques plus ou moins basiques, telles qu’un rétro-projecteur, sont inenvisageables de par cette absence d’électrification.
  • Une étude (Grimm et Al. 2016) réalisée dans le Rwanda rural montre que dans les foyers ayant bénéficié d’un kit solaire de qualité, les enfants étudiaient plus longtemps (justement parce qu’ils ont pu mieux étudier le soir grâce à l’éclairage). Cette note positive est également révélatrice de l’handicap de départ dont souffrent les enfants des zones rurales non électrifiées.

Pensant à la centralité des enjeux énergétiques africains pour plusieurs défis globaux

Nous ne pourrons clairement pas être exhaustif, mais voici déjà 3 points au cœur de l’ensemble des problématiques :

  1. Abandon des terres agricoles par les locaux = accaparement des terres (sur un système de monocultures intensives) par des puissances étrangères pour leurs propres besoins nationaux. Donc compromission de la souveraineté alimentaire, et de la fertilité moyen terme des terres africaines.
  2. Alors que le continent africain est le plus jeune du monde, il se retrouve confronté au défi de l’emploi pour cette jeunesse. Toutes les études sont unanimes : une économie qui doit absorber autant de nouveaux emplois ne peut se baser seulement sur les activités urbaines. Le dynamisme et la gestion durable du secteur alimentaire (production mais également transformation), depuis les campagnes, seront indispensables pour relever le défi continental de l’emploi qui se dessine. Et à-travers ce défi de l’emploi (et donc du bien-vivre en Afrique), c’est celui tout entier des migrations trans-nationales (mortifères) qui se joue, puisque ces dernières prennent leur racine dans la précarité socio-économique.
  3. Paradoxalement, alors que c’est l’activité globale de l’Homme qui a provoqué le réchauffement climatique et ses effets dévastateurs, c’est la présence humaine dans les zones rurales subsahariennes qui peut aujourd’hui (avec des actions appropriées) freiner le processus de désertification. Dynamiser socio-économiquement les zones rurales africaines, notamment par l’accès à l’énergie, est donc un levier important dans la lutte globale contre le réchauffement climatique.

Voilà pour le tableau sur le manque d'accès à l'énergie en Afrique subsaharienne, et ses conséquences sur différentes échelles.

Alors, que faire face à ces nouvelles ? Eh bien, juste lire le deuxième et dernier chapitre de cette mini-série, où l'on vous décrit les solutions envisagées avec des pistes d'actions concrètes ... y compris des actions auxquelles vous pourrez éventuellement prendre part vous-mêmes après lecture de cet article !

Simon Pujau, en charge du développement stratégique et commercial de Jokosun

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